Herboriste, un métier interdit qui aspire à renaître
Le
Monde.fr | 19.03.2012 à 12h01 • Mis à jour le 22.03.2012 à 09h34. Par Angela
Bolis
Au
menu ce midi, à la ferme de Catherine Castille : salade sauvage et soupe d'ortie à l'ail des
ours. L'ortie détoxifie et l'ail des ours, plante des sous-bois aux feuilles un
brin satinées et au goût aillé, possède, entre autres vertus, d'être
dépurifiante. Côté salade, c'est un cocktail de plantules qu'on aurait pu prendre pour des mauvaises herbes : de la rosette de
lampsane, du lamier pourpre, de la bourse-à-pasteur, du pissenlit, des feuilles
de primevères et de marguerites, de l'achillée millefeuille (qui arrête les
hémmorragies), de la cardamine des prés au goût de cresson, une pulmonaire et
de l'angélique pour la digestion, le tout saupoudré de violettes.
En
fait, nul besoin de connaître ces goûts et propriétés pour composer sa salade sauvage, tranche Catherine Castille.
"Si ces plantes ont poussé à cette saison, c'est que c'est le bon moment
pour les manger. Le printemps, ce sont des végétaux qui
nettoient. Le tout est de manger diversifié." En
effet, on est sûr que la qualité des tomates est excellente en été.
La
productrice de plantes médicinales officie dans une ferme à
Saint-Julien-de-Jonzy, lovée entre des monts arrondis du sud de la Bourgogne. Sous
ses yeux, tout prend sens, dans sa salade comme dans son jardin. "Si
femme savait ce que vaut la mélisse, elle en mettrait tous les jours dans sa
chemise", elle l’assure en cueillant une feuille rondelette de cette
plante apaisante.
Si
Catherine Castille - qui se considère davantage comme "une
paysanne" qu'une herboriste - peut cultiver, cueillir dans la nature, transformer et vendre ses plantes aux gens du coin ou à quelques
patients envoyés par des médecins, elle tombe dans l'illégalité si elle s'avise
de donner des conseils quant à leurs usages thérapeutiques.
Car depuis 1941, en plein régime de Vichy, la profession d'herboriste a -
chose rare - été abolie, le diplôme ayant été supprimé.
Ceux
qui s'étaient formés avant cette date - environ 4 500 personnes, selon
l'Association pour le renouveau de l'herboristerie - ont pu aller au terme de leur carrière. Ils se sont
aujourd'hui éteints. Ne reste aujourd'hui qu'une poignée
d'herboristes, pharmaciens de formation.
LA QUERELLE DES HERBORISTES ET DES APOTHICAIRES
Derrière
cette abolition se dissimule la querelle ancestrale entre apothicaires et
herboristes. En d'autres termes, l'herboristerie a été interdite "sous
la pression de l'ordre des pharmaciens" - qui détiennent désormais le
monopole de la vente et du conseil en matière de plantes médicinales -,
explique Jean-Luc Fichet, sénateur PS à l'origine d'une proposition de loi pour faire renaître, et en même temps encadrer, ce métier en voie de disparition.
Le
texte se demande en préambule si le diplôme de pharmacien ne paraîtrait pas adapté à
la connaissance des plantes. « S'il existe une formation dans le cursus,
celle-ci est bien mince au regard du savoir qu'il est nécessaire d'acquérir
dans ce domaine ».
Sans
surprise, la présidente de l'Ordre national des pharmaciens, Isabelle Adenot, a clairement fait part de son opposition à cette initiative que les
herboristes sont les seuls à dominer leur métier.
En
pharmacie, on trouve généralement les plantes sous forme de compléments
alimentaires - une filière en pleine expansion.
"Inefficaces", lance Patrice de Bonneval, pharmacien et herboriste depuis quarante ans et
fondateur de l'Ecole lyonnaise des plantes médicinales. "Prenez la
prêle, une plante merveilleuse contre les rhumatismes. Les anciens disaient
qu'il fallait en prendre 15 g par jour. Dans une gélule, il y a 0,2
grammes de poudre, dont la moitié est inerte. Ça ne peut pas marcher." Sous-dosées, les gélules peuvent aussi être de
qualité douteuse et souvent industrielles, assure Thierry Thévenin, du syndicat Simples - qui regroupe une centaine de producteurs-cueilleurs de plantes
médicinales aromatiques, alimentaires et cosmétiques.
Bref,
pour qui veut avoir accès aux plantes médicinales, les professionnels
compétents font défaut, tout comme les produits efficaces et de qualité. Et
plus de 80 % des plantes médicinales consommées en France sont importées. "La méfiance
envers la molécule chimique grandit, et l'intérêt pour les plantes médicinales
aussi", note le sénateur Fichet, qui prône donc de se "réapproprier
cette filière". Sa proposition de loi prévoit d'instaurer un diplôme reconnu pour les herboristes, afin
qu'ils puissent enfin conseiller leurs clients.
UNE LIBÉRATION DE COURTE DURÉE
Mais après
des années de concertation, en 2008, 148 plantes de la pharmacopée (PDF) ont été libérées dans le domaine
public, et peuvent depuis "être vendues par des personnes autres que
les pharmaciens, sous la forme que la liste précise". Figurent dans
cette liste des plantes parfois aussi communes que la menthe ou la lavande.
Cette
liste, à en croire les herboristes, n'était déjà pas la panacée. "Le
gui, par exemple, excellent pour la tension et utilisé par les druides, a été
interdit parce que sa baie, qu'on n'utilise pas, est toxique. En revanche, la
graine de l'aubépine, et non la plante, a été libérée, alors que seuls les
compléments alimentaires l'utilisent." La filière diététique avait en
tout cas obtenu ce pis-aller qui, par rebonds, servait bon an mal an aux
herboristes, cultivateurs ou épiciers.
Or, la
proposition de loi sur l'herboristerie prévoit de sortir à nouveau ces plantes du domaine public, pour
créer un double monopole : seuls les herboristes reconnus pourront vendre les 148 plantes, avec les pharmaciens qui, eux,
ont accès aux quelque 339 plantes de la pharmacopée française. Enfin, les producteurs de plantes
médicinales pourront encore vendre ces 148 plantes, mais toujours pas prodiguer de conseils à leur propos.
Le
texte, en l'état, est critiqué dans le milieu des herboristes, qui souhaitent voir les 148 plantes maintenues dans le domaine public
et avoir, eux, accès à toutes les plantes médicinales,
comme c'est le cas dans d'autres pays européens.
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